En bref

Effets de l'activité partielle : focus sur l'APLD et les licenciements

L’Unédic a produit des analyses pour le Comité d’évaluation du plan France Relance relatives à l’activité partielle de longue durée (APLD). Les résultats, publiés dans le rapport d’évaluation paru mi-janvier, soulignent notamment que le recours au dispositif atténuerait la baisse de l'emploi à court terme.

 

Unédic

Oana Calavrezo

23 janvier 2024

Face aux défis de la crise de la Covid-19, les partenaires sociaux ont endossé leur responsabilité dans le financement des dispositifs d’activité partielle : un tiers des dépenses sont, encore à ce jour, portées par l’Unédic. Alors que les niveaux de mobilisation des mesures d’activité partielle ont chuté avec la fin des confinements, les partenaires sociaux participent aujourd’hui activement au suivi et à l’évaluation des dispositifs. Ainsi, les nouveaux travaux effectués par l’Unédic complètent les analyses menées précédemment : premier bilan de l’activité partielle depuis le début de la crise sanitaire réalisé en 2020, état des lieux détaillé de l’utilisation des dispositifs d’activité partielle paru en 2022, analyse des mesures d’activité partielle sous l’angle du genre et étude des différents motifs de recours à l’activité partielle pour faire face à des nouvelles crises.

Cette nouvelle étude, publiée dans le rapport d’évaluation du plan France Relance, met en lumière une complémentarité des ajustements des entreprises pour faire face à la crise sanitaire, l’APLD étant mobilisée de manière jointe à côté d’autres mesures afin de gérer le choc. On retrouve ainsi, « toutes choses égales par ailleurs », des corrélations positives entre le recours à l’APLD et l’utilisation de différentes formes de séparation de la force de travail dont notamment les licenciements économiques (le fait d’avoir utilisé l’APLD en 2021 est associé à une probabilité plus importante d’avoir réalisé au moins un licenciement économique).

Par ailleurs, les travaux de l’Unédic soulignent le rôle de l’APLD d’amortisseur du choc à court terme. En effet, l’APLD apparaît comme freinant le nombre de licenciements économiques et les autres types de séparations de la main-d’œuvre étudiées (autres licenciements, ruptures conventionnelles...) et d’une manière générale, ce dispositif atténuerait la baisse de l’emploi à court terme. Les effets diffèrent en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité. Des résultats similaires sont retrouvés pour l’activité partielle de droit commun (APDC) mais cette dernière se révèle moins protectrice que l’APLD à court terme.

Afin d’analyser l’utilisation des dispositifs d’activité partielle et notamment de l’APLD durant la crise sanitaire, l’Unédic a mené en 2023 une étude en deux temps. Elle s’est d’abord penchée sur l’analyse des déterminants du recours aux dispositifs d’activité partielle pour s’intéresser ensuite à la problématique de l’efficacité des mesures d’activité partielle sans y mettre cependant en avant les effets propres des dispositifs d’activité partielle sur les phénomènes étudiés. Plus précisément, sur ce dernier point, sont analysés les liens entre l’usage des dispositifs d’activité partielle et les comportements des entreprises en termes de séparation de la main-d’œuvre (dont les licenciements économiques) et variation de l’emploi. L’étude porte sur l’année 2021 en lien notamment avec l’ampleur du recours à l’APLD ainsi que la disponibilité des données. Il s’agit d’une analyse microéconomique réalisée à partir de statistiques descriptives et d’analyses « toutes choses égales par ailleurs » où l’unité d’étude est l’entreprise.

Quelles entreprises ont davantage recours à l'APLD ?

La probabilité de recourir à l’APLD en 2021 augmente « toutes choses égales par ailleurs » avec la taille de l’entreprise, son ancienneté ou encore si l’entreprise a plusieurs établissements. La propension d’utilisation de l’APLD est plus forte dans  l’industrie ou les secteurs du tertiaire « hébergement-restauration » et « transport et entreposage » par rapport au secteur de référence qui est le commerce (secteur le plus important).

La part de CDI dans la main-d’œuvre de l’entreprise est également corrélée positivement avec la probabilité de recourir à l’APLD : plus la part des salariés en CDI est importante, plus la propension d’utilisation d’APLD est élevée. En outre, « toutes choses égales par ailleurs », un taux de féminisation plus important et une part plus grande de salariés d’âge intermédiaire entre 25 et 49 ans augmentent la probabilité d’avoir utilisé l’APLD en 2021.

Un taux d’exportation élevé tout comme des taux d’endettement et de prélèvement importants sont corrélés avec une propension importante de recours à l’APLD soulignant la place de certaines contraintes de l’entreprise dans l’utilisation de la mesure. Par ailleurs, la productivité apparente du travail ainsi que le chiffre d’affaires par tête en 2020 sont corrélés positivement « toutes choses égales par ailleurs » avec la probabilité d’avoir utilisé l’APLD en 2021. Autrement dit, cela signifie que les entreprises bénéficiaires de l’APLD en 2021 avaient plus souvent l’année précédente une productivité apparente du travail et un chiffre d’affaires par tête relativement élevés. Toutefois, la probabilité d’utilisation de l’APLD diminue lorsque la productivité apparente du travail augmente entre 2019 et 2020. C’est-à-dire que les entreprises utilisatrices d’APLD sont caractérisées davantage par une dégradation de leur productivité apparente du travail entre 2019 et 2020, restant cependant à un niveau de productivité relativement élevé en 2020.

De plus, la probabilité de recours à l’APLD en 2021 diminue quand le taux de rentabilité ou les effectifs salariés augmentent entre 2019 et 2020. Ces facteurs témoignent d’une dégradation de la situation de l’entreprise entre 2019 et 2020.

La majorité des régions sont caractérisées par une probabilité plus faible de recourir à l’APLD par rapport à l’Ile-de-France. Le Centre-Val de Loire, la Bretagne, la Nouvelle Aquitaine et l’Occitanie présentent en revanche une probabilité similaire de recours à l’APLD à celle de l’Ile-de-France. L’utilisation de l’activité partielle avant la crise sanitaire n’est pas corrélée quant à elle avec la propension de recourir à l’APLD en 2021 dans le modèle retenu.

Les déterminants de l’APLD sont par ailleurs très proches de ceux observés pour l’activité patielle de droit commun, la principale différence étant en termes de secteurs utilisateurs et d’ampleur des corrélations. Globalement, les résultats confirment les statistiques descriptives réalisées en amont et sont proches des résultats illustrés dans la littérature économique sur l’activité partielle.

Comment les entreprises mobilisent-elles l'APLD ?

L’activité partielle a comme objectif d’éviter les licenciements économiques et de maintenir les contrats de travail entre les salariés et leur entreprise. On s’intéresse ainsi dans un premier temps aux liens entre utilisation des dispositifs d’activité partielle, et notamment de l’APLD, en 2021 et les ajustements des entreprises en termes de licenciements économiques en 2021 et 2022. Puis, dans un second temps, sont analysées les corrélations entre utilisation d’APLD et d’activité partielle de droit commun (APDC) et d’autres types de séparations de la main-d’œuvre (autre type de licenciement, rupture conventionnelle…) avec l’hypothèse sous-jacente que le comportement des employeurs en termes d’activité partielle pourrait être corrélé avec d’autres formes d’ajustement de la force de travail.

Les entreprises utilisatrices d’activité partielle en 2021 connaissent davantage de séparations par rapport à celles qui n’ont pas recouru à un dispositif d’activité partielle peu importe le motif de fin de contrat ou la période d’observation considérée, ce constant étant encore plus marqué pour les entreprises utilisatrices d’APLD. Ainsi, en ce qui concerne les licenciements économiques, 6,8 % des entreprises utilisatrices d’APLD en 2021 ont connu au moins un licenciement économique la même année contre 0,9 % pour les entreprises qui n’ont pas recouru à un dispositif d’activité partielle et 1,6 % pour les entreprises qui ont mobilisé sur l’année que l’APDC. Ces résultats sont confirmés par des analyses de type « toutes choses égales par ailleurs ». Le fait d’avoir utilisé l’APLD en 2021 est associé à une probabilité plus importante d’avoir réalisé au moins un licenciement économique (corrélation positive au sens statistique) : une entreprise qui a utilisé l’APLD en 2021 par rapport à une entreprise qui n’a pas utilisé un dispositif d’activité partielle en 2021 a une probabilité 2,8 fois plus élevée d’avoir réalisé au moins un licenciement économique en 2021. Ce constat est aussi bien valable pour les années 2021 et 2022 prises séparément que pour la période 2021-2022 considérée dans son ensemble. Les liens sont également retrouvés pour l’activité partielle en général mais la force de ces liens est plus importante pour l’APLD en 2021.

Ces résultats impliqueraient que les entreprises utilisatrices d’APLD connaitraient un recours conjoint à différents dispositifs pour faire face à la crise sanitaire. Ce lien positif du point de vue statistique peut aussi s’expliquer par la temporalité de l’usage de l’APLD ainsi que par le périmètre de la mesure. Pour rappel, en cas d’APLD, l’accord collectif ou le document unilatéral doivent comporter des engagements en matière d’emploi et de formation professionnelle. La durée de l’engagement de maintien en emploi doit correspondre a minima à la durée de recours au dispositif d’APLD. Les engagements en matière de maintien de l’emploi portent sur l’intégralité des emplois de l’établissement ou de l’entreprise sauf si l’accord collectif prévoit un champ d’application plus restreint ou si en cas de document unilatéral, l’accord de branche prévoit que l’engagement porte sur un périmètre plus restreint. En cas de périmètre plus restreint, les salariés hors périmètre peuvent être licenciés pour motif économique.

Les dispositifs d’activité partielle : un frein aux licenciements économiques ?

Pour le taux de licenciement économique en tant que variable continue, les résultats issus des modèles économétriques estimés sont interprétés comme suit : l’utilisation de l’APLD en 2021 est corrélée négativement avec le taux de licenciement économique (elle diminue « toutes choses égales par ailleurs » la part de salariés licenciés pour motif économique). Le fait d’avoir mobilisé l’APLD en 2021 par rapport au fait de n’avoir pas utilisé un dispositif d’activité partielle est associé à un taux de licenciements économique inférieur de 5,5 points. La même corrélation est retrouvée pour l’APDC caractérisée cependant par une plus faible ampleur (- 3,7 points).

Les deux résultats tendent à mettre en avant qu’en 2021, les entreprises ont mobilisé plusieurs canaux pour faire face aux répercussions de la crise sanitaire. Elles mobilisent les dispositifs d’activité partielle dont l’APLD mais en même temps font recours aux licenciements économiques (au moins un licenciement économique). Toutefois, les résultats mettent en avant que l’APLD et les dispositifs d’activité partielle en général ont freiné les licenciements économiques au sein de l’entreprise, soulignant ainsi, à court terme, un effet plutôt bénéfique de ces mesures pour combattre les effets négatifs de la crise sanitaire et plus globalement ont freiné les séparations de main-d’œuvre en général.

Le dispositif d’APLD limite les baisses du volume d’emploi

Dans la continuité des travaux sur les liens entre recours à l’APLD et séparations de main-d’œuvre, l’Unédic a également conduit une analyse sur la manière dont l’utilisation de ce dispositif réagit en rapport avec la variation de l’emploi des entreprises entre 2020 et 2021.

L’analyse de l’Unédic met en avant l’existence d’un lien entre variation de l’emploi et recours à l’APLD. Dans un premier temps, elle montre qu’une entreprise qui a utilisé l’APLD en 2021 par rapport à une entreprise qui n’a pas utilisé un dispositif d’activité partielle en 2021 a 2 fois plus de chances d’avoir connu une baisse de l’emploi entre 2020 et 2021 et ce « toutes choses égales par ailleurs ». Cette corrélation pourrait être due aux liens entre la situation potentiellement négative de l’entreprise et la possibilité de recourir à l’APLD.

Pour creuser davantage ce lien, l’Unédic a analysé dans un second temps ces liens en distinguant les situations d’augmentation des effectifs de celles de baisse des effectifs. Il apparait que l’APLD semble avoir eu un rôle bénéfique pour l’emploi dans l’entreprise. En effet, lorsque l’emploi de l’entreprise augmente ou est stable entre 2020 et 2021, le fait d’avoir utilisé ce dispositif intensifie la hausse de l’emploi et lorsque l’emploi diminue sur la même période, le recours à l’APLD limite la baisse de l’emploi. Ces résultats vont dans le même sens que ceux obtenus pour les séparations de la main-d’œuvre : l’APLD apparaît à court terme comme une mesure utilisée conjointement avec d’autres pour faire face aux effets négatifs de la crise sanitaire, mesure qui a préservé cependant l’emploi en limitant les effets néfastes de la crise.

 

  • Les données utilisées

    Les travaux sont conduits à partir d’un échantillon de travail obtenu en appariant cinq sources de données :

    • les données du système d’information APART de l’Agence de services et de paiement (ASP) sur l’activité partielle (extraction du 20 mai 2023) pour décrire l’utilisation d’activité partielle des entreprises ;
    • le répertoire commun des déclarants (RCD) pour compléter l’information relative aux effectifs salariés de l’entreprise ;
    • les données annuelles de l’Urssaf caisse nationale (UCN) sur les cotisants à l’Assurance chômage (données de février 2023 relatives aux années 2021 et 2020) pour fixer le champ d’analyse, proche du secteur privé, et pour caractériser les entreprises surtout en termes de variation d’emploi et de structure de la main-d'œuvre ;
    • le fichier national des allocataires (FNA) de l’assurance chômage (données de mars 2023) pour comptabiliser au niveau de l’entreprise et de l’année toutes les séparations qui ont conduit à une inscription à Pôle emploi par type de séparation (i.e. licenciement économique, autre licenciement, rupture conventionnelle…) ;
    • les fichiers approchés des résultats d’Esane (FARE) de l’Insee sur la période 2019-2021 pour tenir compte des informations supplémentaires sur les entreprises dont notamment la performance économique et leurs contraintes financières.

    L’échantillon de travail contient 420 000 entreprises. Le champ d’analyse est celui du secteur privé et plus précisément celui des entreprises de France métropolitaine actives du secteur marchand avec au moins un salarié ayant une masse salariale strictement supérieure à 0, hors agriculture, agences d’intérim, entrepreneurs individuels, particuliers employeurs, employeurs publics au regard de l’adhésion à l’assurance chômage, entreprises avec valeurs extrêmes pour les indicateurs de performance économique et de contraintes financières.

    L’échantillon de travail est globalement représentatif de l’économie française en termes de secteur d’activité, de taille d’entreprise, de région d’implantation et de catégorie juridique (voir Annexe 3). 

    Plus d’un tiers des entreprises ont utilisé un dispositif d’activité partielle en 2021 et moins d’1 % l’APLD. Sur l’échantillon de travail, la représentativité globale de l’APLD parmi les entreprises utilisatrices d’activité partielle est retrouvée. Cependant, en lien notamment avec le champ retenu et l’utilisation des bases FARE, l’industrie est surreprésentée parmi les entreprises utilisatrices d’APLD tandis que l’hébergement-restauration et le secteur « activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien » y sont sous-représentés.