En bref

Baromètre Unédic : L'envie de changement professionnel, dopée par la crise ?

Le spectre d’une «grande démission», dans la lignée de celle qui se produit aux Etats-Unis ces derniers mois, se projette en France. La crise a bousculé les actifs et parfois suscité des envies de changement professionnel, que le Baromètre Unédic de la perception du chômage permet de mesurer.

Unédic

Adrien Gaboulaud

17 mars 2022

Jamais autant de salariés n'avaient quitté leurs emplois : aux Etats-Unis, en novembre 2021, plus de 4,5 millions de démissions ont été enregistrées, selon le Bureau of Labor Statistics. Un record. Ce phénomène, qui s'inscrit dans les bouleversements de l'économie induits par la crise de la Covid-19, a été surnommé outre-Atlantique le «big quit», ou «grande démission». Le choc causé par la pandémie a favorisé ce mouvement inédit, selon Stefano Scarpetta, directeur de l'emploi, du travail et des affaires sociales à l'OCDE. «Ceux qui étaient dans des [emplois] qu'ils n'aimaient pas trop, qui étaient mal payés, dans des conditions de travail difficiles, voient des opportunités de quitter le marché du travail», indique-t-il dans un entretien pour le podcast de l'Unédic, «Point de suspension(s)». «Ceux qui participent au "big quit" sont des gens entre 30 et 45 ans, qui ne sont pas forcément des travailleurs faiblement qualifiés, ce sont aussi des cadres. Les secteurs qu'on voit le plus sont ceux qui étaient fortement sous pression pendant la pandémie, les travailleurs dits essentiels qui ont énormément travaillé pendant une très longue période, notamment dans le domaine de la santé», ajoute Stefano Scarpetta.

L'économie française a également été secouée : l'Insee estime à -18,4% l'impact sur le PIB au second trimestre 2020, un choc historique. Pourtant, l'effet sur l'emploi n'a pas été aussi important en France qu'aux Etats-Unis. «En France comme dans d'autres pays, le choc sur le marché du travail a été absorbé par le chômage partiel. On a gardé la relation entre employés et employeurs. On a une protection sociale qui est beaucoup plus forte qu'aux Etats-Unis, qui a permis de gérer mieux la crise», analyse Stefano Scarpetta.

En France, un niveau de démissions en hausse

Les chiffres de la Dares sur les mouvements de main d'œuvre en témoignent : au troisième trimestre 2021, on comptait environ 500 000 démissions et 121 000 ruptures conventionnelles, un niveau supérieur à celui de la même période en 2019, avant la crise. «Cette période a aussi donné l'opportunité aux gens de s'arrêter un moment, de réfléchir sur le travail qu'ils ont et peut-être de chercher un travail meilleur», constate Stefano Scarpetta.

Le Baromètre Unédic sur la perception du chômage, réalisé avec Elabe, permet d'examiner en détail les envies de changement professionnel des Français. La crise Covid-19 a d'abord eu un effet paralysant sur les projets d'une partie des personnes interrogées : 24% des actifs en emploi estiment que la crise a été «un frein» au changement d'employeur, contre 16% qui jugent qu'elle a été «une occasion». Et pour 21%, elle a été un «frein» aux possibilités de «changer de métier, faire une reconversion professionnelle», contre 20% qui y ont trouvé «une occasion». Des résultats à mettre en regard avec le décollage spectaculaire de la formation, notamment grâce à un recours massif au compte personnel de formation transformé fin 2019, selon une étude de la Dares.

Un désir de changement majoritaire

Une majorité d'actifs en emploi expriment un désir de changement. Près de six sur dix déclarent avoir «en cours» ou «en tête» au moins un des quatre projets suivants : changer de métier, d'employeur, de secteur d'activité ou se former dans leur métier actuel. La proportion dépasse les 75% pour les demandeurs d'emploi. On note que plus d'un quart des demandeurs d'emploi déclarent être en train de «changer de métier», un score très supérieur à celui constaté chez les actifs en emploi (8%).

«La crise semble avoir nourri des projets de changements de vie professionnelle plus radicaux, tels que changer de métier. Il y a encore quelques années, ça pouvait être un rêve, mais rarement un projet qu'on lançait. Ça n'est toutefois pas devenu banal, car beaucoup de conditions doivent être réunies pour qu'un tel projet réussisse», souligne Laurence Bedeau, associée au cabinet Elabe.

D'importantes différences apparaissent dans les envies des personnes interrogées selon la catégorie à laquelle elles appartiennent. Le projet de «changer de métier», par exemple, est moins présent chez les actifs les plus âgés et proches de l'âge de la retraite (-25 points par rapport à la moyenne). Il est en revanche plus fréquent chez les 30-39 ans (+9). La situation financière de la personne interrogée semble jouer un rôle important. Les personnes les plus en difficulté sont 39% à déclarer un projet de changement de métier (+9 points par rapport à la moyenne). Certains secteurs économiques se distinguent : dans les «Activités informatiques et services d'information», 20% à peine des personnes interrogées envisagent de changer de métier (-10 points). A l'inverse, dans les «Activités financières et d'assurance et immobilières», les projets de reconversion sont nombreux : 42% répondent oui (+12).

Dans le cadre du Baromètre Unédic, les personnes interrogées ont également été questionnées sur les compétences qu'elles estiment nécessaires pour trouver ou retrouver un travail correspondant à leurs attentes. Alors que les actifs en emploi pointent d'abord l'amélioration de leurs compétences techniques, les demandeurs d'emploi placent en tête les diplômes. Ils insistent plus fortement sur les compétences dans le domaine du numérique (26% de citations contre 21%). Laurence Bedeau voit un lien entre cette recherche de compétences nouvelles et les envies de changement : «L'enjeu, c'est d'obtenir les compétences permettant de faire ce que l'on aime faire ou de pouvoir se sentir utile».

  • Méthodologie

     

    Cette étude a été réalisée en ligne, avec l'institut Elabe, du 31 août au 27 septembre 2021. Etude quantitative, menée auprès d'un échantillon de 4519 individus, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Les détails de la méthodologie et d'échantillonnage sont indiqués dans la synthèse de l'étude.