Selon l’enquête de l’Unédic « Le travail en transitions », 15 % des actifs sont aidants – et plus souvent aidantes – d’un proche âgé de 55 ans ou plus, en perte d’autonomie. Parmi ces personnes, près de la moitié (46 %) indiquent avoir dû consentir, à cause de leur situation d’aidant, à un renoncement professionnel : formation, promotion, changement d’entreprise ou changement de métier. C’est manifestement un sujet majeur pour les entreprises. Comment les DRH y font-ils face ?
Anthony Contat : Nous sommes évidemment au fait des tendances démographiques et nous avons rencontré, ces dernières années, une multitude de cas individuels, dans nos entreprises, qui nous ont permis de mettre en perspective cet enjeu. Un salarié aidant, c’est un salarié qui peut avoir plus d’absences, qui peut perdre de la productivité. Il y a de la fatigue, de la charge mentale, parfois des complexités administratives, ou même des problèmes financiers. Tout cela peut créer des tensions dans les équipes. Les entreprises ont aujourd’hui des politiques volontaristes sur ce sujet, parce que c’est un sujet de santé mentale pour les salariés et un sujet de performance pour elles.
Comment se concrétisent les politiques des entreprises en la matière ?
Les partenaires sociaux ou les élus du comité social et économique (CSE), quand l’entreprise en est dotée, prennent vraiment à cœur leur rôle dans la préservation de la santé physique et mentale des salariés. Cependant, sur ce sujet, passer par un accord au sein de l’entreprise n’est pas nécessairement la voie prioritaire. Il faut d’abord du dialogue, pour trouver le terrain commun qui permettra de s’organiser. L’accompagnement des managers est également essentiel, pour les sensibiliser à chaque étape de la vie d’un salarié. Cela rejoint les sujets d’inclusion : il faut prendre en compte les singularités de chacune et chacun pour mieux vivre ensemble au sein des entreprises, et cela vaut pour l’aidance.
Parmi les aidants salariés interrogés, 55 % déclarent n’avoir bénéficié d’aucun aménagement. Une des principales attentes des aidants, exprimée dans le cadre de l’enquête « Le travail en transitions », est l’aménagement des horaires de travail. Comment conjuguer les contraintes de l’organisation de l’entreprise aux contraintes parfois très lourdes de la situation d’aidant ?
On ne peut pas aller jusqu’à l’individualisation à l’extrême de l’organisation du travail. Que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public, il y a la nécessité d’une « continuité de service ». Tout n’est donc pas acceptable. Cependant, à travers le dialogue, il est bien souvent possible de trouver un espace de compromis, tout en restant équitable par rapport à ceux qui ne sont pas en situation d’aidance. Quand on met en place un aménagement, l’idéal est que ce soit une discussion d’équipe, pour trouver le niveau de flexibilité qui fonctionne dans les contraintes de l’organisation. Il faut éviter toute position rigide et fermée.
"Les DRH et les employeurs ont un gros travail à faire pour se montrer plus ouverts"
Une part des aidants salariés (17 %) déclarent avoir parlé de leur situation sur leur lieu de travail sans être écoutés. Cela révèle-t-il une insuffisance du côté des entreprises ?
La question de l’aidance a quelque chose d’universel. Collègues, managers, DRH : tout le monde peut se figurer les contraintes que cela représente. Cependant, les DRH et les employeurs ont un gros travail à faire pour se montrer plus ouverts ou créer la culture qui permette aux salariés de s’exprimer – ils n’osent pas toujours : il faut informer, il faut communiquer, il faut mettre en place dans le quotidien de l’entreprise des espaces favorables à l’expression des salariés. C’est un travail à mener.
L’enquête « Le travail en transitions » explore également la question des fins de carrière et de la place des seniors en entreprise. Un constat tranché apparaît : jeunes et anciennes générations n’ont pas la même vision du travail. Ces divergences peuvent-elles constituer des difficultés pour les entreprises ?
Les besoins et les envies des salariés ne sont pas radicalement différents de ce qu’ils étaient autrefois. La qualité de vie au travail, comme la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, sont des sujets que toutes les générations ont à cœur. Sur la question du rapport au travail en revanche, je perçois une véritable scission culturelle entre les jeunes et les plus expérimentés. C’est vraiment quelque chose de très, très fort. Il y a parfois même des difficultés intellectuelles à comprendre ces différences. Les jeunes ne comprennent pas pourquoi les plus expérimentés sont à fond dans le travail, parfois sans sembler se poser de questions. Les plus expérimentés ont du mal à comprendre le détachement que les jeunes, tout en réalisant un travail de qualité, peuvent avoir vis-à-vis du travail. Souvent, ils sont en position de management, ce qui complexifie les choses. Il faut les accompagner pour qu’ils acceptent que chacun a sa vision du monde et que les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas évolué dans le même environnement politique et culturel qu’eux.
"Il faut comprendre ce que représente le poids des incertitudes pour les jeunes d'aujourd'hui"
Vous parlez de « scission culturelle ». Diriez-vous que ce phénomène est réellement nouveau, ou qu’il relève pour partie d’une vision stéréotypée d’une génération sur l’autre, qui a toujours existé ?
Non, je crois vraiment qu’il y a quelque chose de fort qui se joue, au-delà du « c’était mieux avant », « nous on ne faisait pas comme ça ». Il faut comprendre ce que représente le poids des incertitudes pour les jeunes d’aujourd’hui, qui étaient ados pendant le Covid et qui voient un monde en proie à des crises géopolitiques, environnementales et économiques. Cela les pousse sans doute à exiger plus et plus vite. Ils ne veulent pas de l’image que leur ont renvoyé leurs parents en tant que travailleurs, c’est-à-dire un manque de disponibilité, des sacrifices pour des entreprises qui ont fini par les renvoyer en deuxième partie de carrière. La temporalité n’est pas la même non plus : les jeunes se projettent, à raison, sur du très court terme car l’avenir leur est incertain.
La question de la place des seniors dans l’entreprise est un sujet récurrent depuis plusieurs décennies, au gré des réformes des retraites successives. Avec le recul, comment jugez-vous les évolutions des entreprises sur ce sujet ?
Il y a extrêmement peu de changements réels. L’ANDRH a récemment produit une étude avec le ministère du Travail, réalisée auprès de nos 6300 adhérents, pour identifier ce que les entreprises prévoient pour leurs salariés expérimentés : seuls 26 % des DRH déclarent avoir mis en place des outils spécifiques pour suivre l’évolution de ces collaborateurs. Il y a quelques efforts sur la formation, mais il n’y a pas de politique de recrutement ou d’accompagnement spécifique par exemple. A part dans les très grandes entreprises, il y a très peu d’accords dédiés aux seniors. Néanmoins, notre actuelle ministre du Travail et de l’Emploi a pris le sujet à cœur et donne une impulsion très forte sur le sujet, qui devrait permettre aux entreprises de mieux ou plus se saisir du sujet.
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Quel accès à l'emploi durable pour les allocataires seniors ?
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Dans le prolongement de ses travaux précédents sur les seniors, l'Unédic a publié une étude sur l'accès à l'emploi durable des allocataires seniors. L'objectif est double : d'abord, apporter une meilleure compréhension de la diversité des profils des allocataires seniors ; ensuite, identifier l’âge à partir duquel des difficultés pour accéder à un emploi durable s’amorcent, les allocataires les plus touchés et les pistes explicatives.